L’Etat peut-il être non-violent ?
Dans notre précédent numéro de Terres Civiles, nous relations l’existence de l’Association pour l’étude, le respect et la promotion de la démilitarisation et de la non-militarisation (ASPRED). Pour maintenir le lien, son fondateur, Christophe Barbey, a été invité à s’exprimer sur la relation Etat et non-violence. Il nous propose ainsi quelques réflexions à partir des études sur la non-militarisation tout en nous rappelant le défi posé par la «Décennie pour une culture de non-violence et de paix au profit des enfants du monde».
Dans une brillante conférence1, David Adams2 disait que les États, en approuvant les résolutions sur la culture de la paix, avaient en substance accepté le concept “d’État non-violent”. Il ajoutait, non sans humour, que ces États ne savaient probablement pas ce qu’ils signaient !3
Il décrivait ensuite l’État non-violent non pas comme un projet de société, prenant en compte tous les aspects de la violence (étatique ou civile), mais plus simplement comme un ensemble de qualités et de va- leurs à mettre en avant, à développer par chacune et chacun et à faire valoir dans les structures de l’État comme partout, pour ne pas avoir à faire appel à la violence et pour promouvoir la paix. David Adams comparait ensuite certains états d’esprit pour éclairer son propos : la transparence ou le secret, l’égalité entre les sexes ou le machisme, la coopération ou l’autorité, la démocratie ou la hiérarchie, les droits de l’homme ou l’exploitation…
L’idée d’un État non-violent mérite d’être reprise et développée, dans de nombreux contextes et sous tous ses aspects ! Je n’en aborderai ici que deux : la théorie qui veut que l’État dispose du monopole de l’emploi de la force, pour en faire la critique et la non-militarisation parce que je la con- nais bien et qu’elle parle à mon cœur.
Attribuer le monopole de la force à l’Etat favorise la violence
La théorie politique qui veut que l’État dispose du monopole de la force n’a pas produit les résultats escomptés, à savoir une diminution effective ou même complète de la violence. Divers exemples illustrent ce propos et démontrent combien la violence et le pouvoir dès que l’Etat les utilise sont inaptes à trouver des solutions de fond.
Les guerres, le terrorisme, la violence des jeunes ou le sentiment d’insécurité, les inégalités sociales et politiques sont autant de domaines dans lesquels nos sociétés, et l’État tel qu’il les représente, ne sont pas parvenues à surpasser la violence et à la remplacer des solutions plus harmonieuses.
D’autres méthodes de gestion de la force et de la violence sont donc à rechercher, et si ce n’est plus par l’intervention exclusive de l’État, cela peut être par une meilleure gestion de la violence par une responsabilité citoyenne sans ambiguïté, par de meilleures connaissances en matière de sécurité et donc par une culture de la paix à même de répondre à la violence avec dignité, c’est-à-dire sans y avoir soi-même recours, en tant que personne ou en déléguant son pouvoir politique, sa responsabilité propre, à d’autres qui feraient alors eux-mêmes usage de violence.
Il est toujours temps, mais maintenant plus que jamais, de promouvoir la paix à tous les échelons de la société ! Une autre des réponses possibles à cette problématique est le développement d’un droit de l’être humain à la paix4, lequel exigerait de tous les acteurs publics et privés qu’ils interagissent sans causer de dommages supplémentaires et en trouvant des solutions préventives et constructives qui élaborent la paix à court terme comme à long terme.
Lire aussi :
PETIT LEXIQUE DE LA NON-VIOLENCE
« Les mots sont des fenêtres » par Marshall Rosenberg
27 pays sans armée : la non- militarisation est une réalité
Le deuxième aspect de «l’État non-violent» que je souhaite aborder ici est celui de la non-militarisation5. Celle-ci, qui est permanente, se distingue de la démilitarisation, laquelle n’est qu’un processus. La non-militarisation est beaucoup plus fréquente et plus ancienne qu’on ne le pense habituellement.
Même si la distinction entre les forces de police et de douane, les forces paramilitaires et l’armée proprement dite n’est pas toujours facile à faire, et même si les informations concernant les fonctions et les moyens de ces diverses forces ne sont pas facilement disponibles, on peut considérer qu’il y a 27 pays sans armée. Ce nombre augmente puisque le Panama et Haïti se sont démilitarisés, respectivement en 1990 et 1995.
Andorre n’a jamais eu d’armée et cela depuis 700 ans. Le pays existe toujours, il vient de refaire sa Constitution et de par- faire ainsi juridiquement son statut plein et entier d’État indépendant. Le pays a en- suite adhéré à l’ONU. Il mène depuis une politique internationale responsable et en- gagée. Il est l’un des premiers pays adhérant à de nombreux traités modernes, tel que par exemple le protocole à la Convention des droits de l’enfant interdisant les enfants soldats qui vient d’entrer en vigueur.
Ceci dit, la non-militarisation n’est pas encore elle-même une panacée ou une politique de paix, elle n’est même pas un gage absolu de non-violence de la part de l’État, loin de là. Mais, c’est quand même un excellent début !
L’Islande, pour préserver ses droits de pêche et même sans armée, se lance dans les guerres de la morue, qu’elle finira par gagner. Pour ce faire elle invente une« arme » non-violente (mais aux dégâts coûteux…), la pince à couper les chaluts ! Elle s’attaque directement à ce qui lui cause du tort, les filets, sans s’en prendre directement aux hommes. Il y eut bien un mort, hélas, un seul et par accident dans cette guerre et toute mort est déjà une mort de trop. Mais il est surtout important de noter qu’un petit État, sans armée, cherchant légitimement à défendre ses besoins vitaux face à des puissants a été parfaitement capable de trouver des moyens adéquats pour parvenir à ses fins.
La non-militarisation, dans sa simplicité, offre une formidable possibilité, une base solide sur laquelle construire des politiques de paix, des alternatives créatives, puisque l’État qui la choisit (ou qui s’y voit contraint par son exiguïté ou ses moyens limités) n’a pas d’autres choix que des solutions non-militaires.
Difficile de parler de « pays sans armée » sans parler du Costa Rica. Quel trait de génie, quelle extraordinaire inspiration permet à cet État, en 1948 déjà, de se reposer sur la sécurité collective et de renoncer à son armée au profit du développe- ment et de l’éducation ! Et quelle persévérance pour résister aux pressions des USA, des marchands d’armes et aux calomnies sur les atrocités ou les surcapacités de sa police ! Et quel bilan formidable : c’est le seul pays à connaître la paix, sans interruption et pendant plus de 50 ans, dans une Amérique centrale où tous les autres pays ont été déchirés par la guerre civile et la dictature.
C’est aussi sur son sol que se sont établies la cour interaméricaine des droits de l’Homme et l’Université de paix des Nations Unies. Et finalement, en 1990, le Costa Rica voit sa politique récompensée de la plus magnifique façon puisque son voisin sud, le Panama, renonce lui aussi à son armée !
Un avantage pour l’ensemble de la population
Il y aurait beaucoup à dire aussi du Liechtenstein qui, en 1918 à Versailles, sauve son indépendance, justement parce qu’il n’a pas d’armée, puisque cette absence d’armée prouve sa neutralité ! Et les Mal- dives, qui depuis des années militent sur la scène internationale pour une meilleure prise en compte de la sécurité des petits Etats ? Que dire encore des États insulaires du Pacifique ? Onze sur treize d’entre eux n’ont pas d’armée. Y a-t-il là l’ébauche de la première « zone internationale non-militarisée » ?
Comment expliquer que tous les pays sans armée (Vatican mis à part !) aient un système politique démocratique.
Et pourquoi selon l’indice du développement humain la condition des femmes y est-elle meilleure ? Pourquoi les États sans armée signent-ils les traités de paix et de désarmement ? Pourquoi appliquent-ils mieux les droits de l’homme ? Pourquoi les indices de développement, d’éducation ou d’alphabétisation sont-ils proportionnelle- ment plus avancés ? S’agit-il simplement de bonne gouvernance ou y a-t-il en des- sous quelque chose de particulier ?
La non-militarisation contient en elle les germes d’une politique favorisant réelle- ment le peuple et tous les peuples ! En cela, elle s’approche un peu d’un réel concept d’humanité, d’une globalisation harmonieuse, d’un droit à la paix et elle permet à l’État de démontrer qu’il peut être, sans violence aucune, au service de sa population !
Christophe Barbey