Lançons ensemble un boycott pour la paix en Irak.
Proposition d’argumentaire pour un boycott des compagnies pétrolières américaines et britanniques pour empêcher l’entrée en guerre des Etats-Unis et de leurs alliés britanniques contre l’Irak avec ou sans l’accord du Conseil de sécurité de l’ONU.
La situation au 20 janvier 2003
D’ici à mi-février, au moins 150’000 soldats américains et britanniques seront déjà positionnés dans le Golfe persique. Et la détermination du président George W. Bush à attaquer l’Irak de manière «préventive» semble toujours aussi forte, à en juger par ses discours musclés.
Cette détermination ne paraît pas entamée par le fait que les inspecteurs de l’ONU n’ont jusqu’à présent pu mettre en évidence aucune preuve flagrante de la détention par l’Irak d’armes de destruction massive, ni par l’opposition à la guerre d’une grande partie de la communauté internationale – notamment les opinions publiques et les chefs de gouvernement de plusieurs pays d’Europe occidentale, sans parler des prises de position de M. Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, et du Pape Jean-Paul II.
Dans un pays comme la Suisse, le front anti-guerre est exceptionnellement large, puisqu’il va de la gauche traditionnellement pacifiste à la droite libérale (Jacques-Simon Eggly), cependant que le Conseil fédéral, par les voix de Mme Calmy-Rey et de M. Deiss, exprime sa ferme opposition à toute action militaire qui n’aurait pas l’aval de l’ONU. Des grands patrons de l’économie, comme Nicolas Hayek, s’élèvent aussi contre la guerre annoncée dans la mesure où celle-ci aurait de graves répercussions sur la situation économique des pays européens.
Le 27 janvier prochain, les inspecteurs de l’ONU remettront officiellement leur rapport au Conseil de sécurité. Il paraît probable que ce rapport ne contiendra pas les preuves flagrantes impatiemment espérées par l’administration Bush, et que les inspecteurs mandatés par l’ONU continueront à exiger davantage de temps (plusieurs semaines à plusieurs mois) pour faire correctement leur travail. Cela n’arrangera pas les affaires de M. Bush, car les effectifs déployés dans la région du Golfe vont continuer à augmenter, et il ne serait pas bon pour le moral des troupes que celles-ci doivent attendre trop longtemps, dans une chaleur croissante, la reconnaissance onusienne d’éventuelles tricheries de Bagdad pour pouvoir enfin passer à l’action.
L’administration Bush devra donc assez rapidement choisir l’une des options suivantes:
- jouer loyalement le jeu de la communauté internationale, attendre patiemment que les inspecteurs de l’ONU aient fini leur travail, et agir en fonction des conclusions de leur rapport final – au risque de devoir rapatrier dans quelques mois des troupes démoralisées, et donc de perdre la face (perspective désagréable sur le plan intérieur américain, en période pré-électorale);
- apporter elle-même (grâce à ses services secrets) la preuve incontestable de la détention par l’Irak d’armes de destruction massive, ou fabriquer une telle preuve ; saisir alors le Conseil de sécurité de l’ONU et faire adopter, par de fortes pressions, une nouvelle résolution favorable à une action militaire menée par les Etats-Unis, mais «autorisée» par l’ONU;
- idem que ci-dessus, mais, en cas de vote négatif du Conseil de sécurité (hypothèse d’un courageux veto de la France et/ou de la Russie), se résoudre à rapatrier ses troupes et renoncer à une action militaire unilatérale;
- en cas de vote négatif du Conseil de sécurité, décider au contraire une entrée en guerre unilatérale des Etats-Unis, assistés ou non de la Grande-Bretagne et de certains membres de l’OTAN;
- trouver n’importe quel prétexte pour attaquer l’Irak le plus tôt possible, sans l’aval du Conseil de sécurité, voire même sans autres alliés que les Britanniques.
Il est difficile aujourd’hui de prédire quelle option choisira le gouvernement Bush. Mais ce qui est sûr, c’est que le mouvement anti-guerre doit continuer à manifester son opposition résolue aux visées belliqueuses des Etats-Unis, et rester fortement mobilisé pour parer à toute éventualité.
D’importantes manifestations sont prévues dans plusieurs pays d’Europe le 15 février. Auront-elles un impact suffisant pour empêcher la guerre, alors que les porte-parole de la Maison Blanche, appliquant des méthodes de manipulation largement testées lors de la première guerre du Golfe, ne cessent de marteler le même slogan à l’infini: « Saddam Hussein est un menteur et un tyran, il faut l’éliminer»? On peut en douter. C’est pourquoi nous proposons d’aller au-delà de la proclamation de nos indignations, en donnant aux simples citoyens d’Europe la possibilité d’agir plus concrètement contre la guerre. L’arme non-violente d’un boycott, ciblé sur les compagnies pétrolières américaines et britanniques, permettrait d’exercer sur les Etats-Unis et leurs alliés une forte pression d’ordre économique – le seul langage sans doute que des politiciens ultra-libéraux soient susceptibles de comprendre.
Un boycott pour la paix: argumentaire
En pratique, de quoi s’agit-il ? Tout simplement de faire comprendre aux citoyennes et citoyens, qui sont souvent des automobilistes ou des motocyclistes, qu’ils ont en tant que consommateurs un important pouvoir : celui de choisir librement la marque d’essence qu’ils souhaitent ou ne souhaitent pas mettre dans leur réservoir. Si des dizaines de milliers ou des centaines de milliers d’automobilistes européens décident simultanément de manifester leur opposition à la guerre en cessant de se ravitailler dans des stations-service Esso ou BP (British Petroleum), les conséquences économiques pour les compagnies concernées peuvent être redoutables.
L’arme du boycott ne doit donc pas être utilisée à la légère. En l’occurrence, la situation créée par les va-t-en-guerre américains et britanniques est assez grave pour justifier son emploi, d’autant plus que :
- Un boycott est une arme efficace. Pour contrer la ségrégation raciale, les Noirs de Montgomery (Alabama) ont boycotté pendant une année une compagnie de bus qui voulait réserver les places assises aux passagers blancs. Menacée de faillite par cette action, la compagnie en question dut se résoudre à mettre fin à la discrimination. Le succès de cette première campagne non-violente de Martin Luther King, en 1955, fut décisif dans la longue bataille pour l’égalité des droits civiques aux Etats-Unis. Par la suite, d’autres campagnes de boycott ont connu d’évidents succès – contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud, ou contre des compagnies pétrolières, déjà (campagnes de Greenpeace contre Shell en Allemagne et en Scandinavie, contre Esso en Grande-Bretagne).
- Un boycott est parfaitement légal. Aucune loi ne vous oblige à acheter quoi que ce soit, ni à justifier quand, comment et chez qui. Nous choisissons librement de dépenser ou de ne pas dépenser notre argent. Même l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) défend le droit pour un opérateur économique (particulier ou entreprise) de diriger ses affaires selon ses propres critères, le rapport qualité-prix étant l’exemple le plus trivial – mais des critères d’ordre éthique, religieux ou politique sont également admissibles.
- Un boycott est un message fort. Un moyen de pression non-violent pour pousser les acteurs économiques à faire pression sur les acteurs politiques et les amener, dans le cas qui nous concerne, à privilégier d’autres solutions que la violence militaire pour résoudre le conflit.
- Un boycott est un acte solidaire à la portée de toutes et de tous. Beaucoup de gens se sentent impuissants face à la colossale machine de guerre – et de propagande – déployée par le gouvernement américain. Participer à une campagne de boycott, contribuer de manière créative à la promotion du boycott, leur donnera l’occasion d’agir concrètement pour défendre la population civile irakienne contre les visées hégémoniques des Etats-Unis et d’une Grande-Bretagne en mal d’empire.
- Un boycott encourage la réflexion. Il mobilise et canalise de façon non-violente des énergies face à une situation d’injustice (par ex. apartheid) ou face à l’inaction de gouvernements soumis aux pressions de puissants lobbies industriels et financiers (par ex. non-ratification du Protocole de Kyoto pour contrer le réchauffement climatique). Il permet de diffuser des informations critiques et de susciter un large débat dans la société.
Dans le cas de la guerre annoncée contre l’Irak, un boycott des compagnies pétrolières américaines et britanniques se justifie d’autant plus que cette action s’inscrit clairement dans la perspective non-violente d’une forte cohérence entre le but du boycott (pas de guerre pour du pétrole!) et les moyens à mettre en œuvre pour atteindre ce but.
Les Etats-Unis d’Amérique: une république pétrolière
Plus qu’aucune autre dans l’histoire, l’administration Bush, a des liens étroits avec les grandes compagnies pétrolières américaines. À commencer par le Président lui-même, George W. Bush, issu de l’une des grandes familles pétrolières du Texas, qui fit son beurre dans le développement de sociétés de services à ce secteur.
Dick Cheney, l’actuel vice-président, était auparavant à la tête de Halliburton, une société de services active dans 130 pays où elle jouit pratiquement d’un monopole dans les recherches pétrolifères, la construction de pipe-lines, la fourniture de matériel pour l’exploitation des puits, etc. Véritable chef de l’administration américaine, Dick Cheney n’a jamais hésité à soutenir les dictatures nigériane et birmane pour le plus grand bien des profits de sa société.
Condoleeza Rice, encore: directrice du Conseil national de sécurité qui chapeaute toutes les agences de renseignement, cette enseignante à Stanford, considérée comme “soviétologue”, fut déjà conseillère à la sécurité sous Bush père et chargée alors des questions relatives à l’ex-URSS. Mais, surtout, elle fut de 1991 à 2000 directrice du groupe Chevron, une des premières compagnies pétrolières du monde, en étant plus particulièrement chargée des implantations au Kazakhstan et en Afghanistan.
Les secrétaires d’État au Commerce et à l’Énergie, eux aussi, Donald Evans et Spencer Abraham, firent toute leur carrière dans le secteur pétrolier. Et enfin Kathleen Cooper, sous-secrétaire au Commerce, fut la chef économiste de la société Exxon (qui vend en Europe sous le nom d’Esso).
Difficile de faire mieux! Au point que les commentateurs critiques américains décrivent couramment l’administration Bush comme une véritable “ oiligarchy ” – une oligarchie pétrolière.
Cibles du boycott: Esso, BP, Chevron/Texaco, Mobil
En Suisse, les compagnies pétrolières américaines sont représentées par les stations-services des marques suivantes: Esso, Chevron/Texaco, Mobil. Le cas d’Esso mérite selon nous une attention particulière (voir annexe).
Etant donné que le Premier Ministre britannique Tony Blair, malgré l’opposition de certains membres de son gouvernement et de la majorité de son opinion publique, persiste à soutenir la politique belliciste du Président Bush, il nous semble légitime d’appeler également à boycotter British Petroleum (BP), qui est la principale compagnie pétrolière britannique.
Dans d’autres pays d’Europe et du monde, d’autres compagnies américaines sont à inclure dans le boycott. En voici la liste par ordre alphabétique: Amoco, Arco, Conoco (Continental Oil Company), Occidental Petroleum (présente en Amérique latine), Unocal.
Organisation du boycott pour la paix
Les organisations intéressées à soutenir le boycott devraient se mettre d’accord sur les points suivants:
- Conditions de lancement de l’action: dès l’attaque effective de l’Irak? ou dès aujourd’hui en exigeant le retrait des troupes déjà positionnées dans la région du Golfe? en exigeant au surplus l’arrêt des bombardements américano-britanniques et la fin de l’embargo?
- Dans tous les cas, il est important que le boycott soit annoncé le plus tôt possible, qu’une forme d’ultimatum soit envoyée aux autorités américaines et britanniques, ainsi qu’aux directions des compagnies ciblées par le boycott. En effet, la simple menace d’un boycott de grande ampleur peut avoir un effet dissuasif, si elle est suffisamment crédible. Il nous semble donc important que l’idée d’un «boycott pour la paix» soit déjà évoquée et discutée lors des rassemblements de « L’autre Davos» et de Porto Alegre.
- L’organisation pratique du boycott devrait être prise en charge de manière décentralisée, dans chaque pays, par les ONG qui le désirent. Mais il nous semble important qu’un certain nombre de critères et de règles soient fixés dans une forme de charte générale, afin de garantir que l’action soit menée de manière véritablement non-violente. Cette «charte du boycott» pourrait être consultable sur un site Internet de référence. Cela permettrait aussi de donner des indications sur la durée du boycott (conditions pour y mettre fin), ainsi que divers outils pour les groupes locaux (slogans, éléments graphiques, affiches, actions de type culturel, etc.)
Le CMLK coordonne le boycott en Suisse. Des contacts ont été pris avec différents mouvements anti-guerre étrangers dans l’espoir que ce boycott se propagera rapidement dans toute l’Europe (plus loin si possible !).